« Projet de livre des suppléantes » : différence entre les versions

Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 1 : Ligne 1 :
Les enfants tombent en amour comme les grands, sans l'avoir vu venir, sans comprendre comment.  Ils tombent en amour comme en pleine face, souvent, sans s'en faire pour autant.  L'amour, c'pas toujours évident!
== '''LES ENFANTS ET L'AMOUR'''==


Je fais de la suppléance depuis 2006, par choix.  Ça m'a permis de poursuivre une démarche de dramaturge, tout en continuant de travailler avec les enfants, d'enseigner, de partager, d'animer les jeunes. En plus intensif.  Le bonheur de faire de la suppléance, c'est d'aller à la rencontre de milliers d'enfants, chaque année, et d'entretenir avec eux un dialogue récurrent sur bien des sujets, dont celui cuisant de l'amour.  Dès le préscolaire, des petits vibrent d'une telle intensité émotive pour un autre, garçon ou fille. Ils me touchent profondément.  
Je fais de la suppléance depuis 2006. Je remplace les spécialistes en arts dramatiques, plastiques, musique et danse tout en poursuivant une démarche en théâtre et cirque. J'entraîne à la créativité et explore le jeu clownesque avec les enfants de la maternelle au cégep. Mon bonheur de suppléante réside dans la créativité des milliers d'enfants que je croise, chaque année, et d'entretenir avec eux un dialogue général sur des sujets féconds, surtout en Univers social, dont celui très gloussant de l'amour.  Dès le préscolaire, des petits vibrent d'intensité émotive pour garçon ou fille, sans égard de genre. Il.elles me touchent profondément.


Un de mes beaux souvenirs remonte à mes premières années, dans une école de Terrebonne.  J'ai connu un petit couple de première année qui sortait ensemble depuis... 2 ans!???  Depuis la maternelle.  Ils s'assoyaient ensemble en se tenant la main, ou lui, avec une main sur son genou, collés, collés.  Ils ne bougeaient pas, ne s'agitaient pas, avaient une écoute irréprochable, trop cute, les petiots!  Deux angelots dans une peinture de...  Botticelli?   Je ne les ai jamais séparés.
Un de mes beaux souvenirs remonte à mes débuts dans une école de Terrebonne.  J'y ai connu un petit couple de première année qui sortait ensemble depuis deux ans. Depuis la maternelle, quoi.  Ils s'assoyaient toujours ensemble en se tenant la main, ou lui avec une main sur son genou, elle moulée contre lui. Un vrai petit couple à sa place.  Ils ne bougeaient pas, ne s'agitaient pas, avec une écoute irréprochable.  Trop cute, les petiots!  Deux angelots dans un tableau de Raphaël.  Je n'ai jamais eu le coeur de les séparer. Et si parfois on avait le malheur de s'en plaindre, genre - Oui mais Madame, lui là, pis elle là...  Chichi!  je répondais pour couper court à toute protestation.  Le petit couple est devenu un fait établi, accepté ainsi la classe. 
 
Un autre matin, un autre groupe, alors que le soleil entrait à profusion dans le local, je jasais avec les élèves, demandais comment ça allait et balayais la classe des yeux quand j'attrapai le regard d'un petit garçon qu'il promenait sur la somptueuse et infiniment longue chevelure rousse de sa voisine de place. Il était totalement hypnotisé, gorgé de beauté et de stupéfaction, la lèvre pendante.  La fillette, qui lui tournait le dos, n'en soupçonnait rien.  Je lançai à la volée:  - Ciel!  Qu'il y a de l'amour dans ces yeux là, en fixant le garçon.  Tous les élèves se sont retournés, figeant de honte le petit, mais faisant se retourner la jolie rousse qui lui a souri, lui a sauvé la vie, sans l'empêcher de devenir écarlate.  C'est qu'il venait de comprendre qu'il était devenu l'élu de son coeur aussi. À partir de ce jour, leur couple vécut au grand jour de la classe jusqu'à la fin de l'année. Ils m'ont raconté qu'ils étaient voisins de maison depuis leur naissance, amis de carré de sable du plus loin qu'il.les se souviennent. C'était un couple sans histoire aussi, tendre et attentionné.  Puis, j'ai perdu leurs traces.
 
Ha l'amour!  Sujet toujours gloussant pour les enfants.  Quand on fait des virelangues, on les essaie sur plusieurs modes, différentes émotions.  Coup classique, sitôt que j'indique ''amoureux.ses'' comme émotion, la moité du groupe part à rire, se cache les yeux, débarque, proteste, se saute dessus, assez pour perdre la classe.  Et pourtant, je persiste, en m'amusant de leurs réactions, en échangeant avec les élèves qui restent des regards tendres, bienveillants, joyeux, câlinants, confiants, sympathiques, taquins, si fins à en rattraper la plupart des récalcitrant.es.  Avec certains groupes, certaines écoles où je retourne 2-3 fois/année, à la longue, ce jeu en vaut la chandelle.  Les comportements des enfants s'ajustent rapidement et ferait une excellente introduction au cours d'éducation à la sexualité. 
 
Une fois en hiver, à la récré du matin, je surprends une demi-douzaine de garçons à plat ventre dans la neige, à creuser frénétiquement la couche de glace et de garnotte contre le mur de l'école.  Ils avaient l'air agité. Que se passe-t-il, les gars?  Avez-vous perdu quelque chose?  Et les six de vouloir m'expliquer en même temps... - Wo-wo-wo! Un à la fois, dis-je  - C'est Miguel qui a échappé une bague. - Une vraie bague ou une bague jouet, je demande?  - Une vraie bague, c'est la bague à sa mère- Miguel? Que faisais-tu avec la bague de ta mère à l'école?  - C'est à moi, elle me l'a donnée, j'ai le droit de la donner à qui je veux, se défend Miguel.  - Je comprends, Miguel, mais donner une bague, c'est un message d'amour fort, comme une demande en mariage presque.  Tu veux donner la bague à la personne que tu aimes?  Miguel se trouble, il ne sait plus quoi dire.  - L'amitié, ça compte aussi. À  nouveau les six de vouloir m'expliquer que Miguel change d'école aujourd'hui et qu'il voulait laisser un souvenir....  - Re-Wo-wo-wo!  Miguel?  Oui, l'amitié ça compte, alors tu ne veux pas la donner à une fille, c'est ça?    - Non, à un garçon, me répond-il franchement.  J'ai beaucoup d'amis alors j'ai décidé de la tirer par en arrière au premier qui l'attrape.  Mais là, elle est  perdue.  Il se met à pleurer.  Tous ses amis reprirent l'excavation de plus belle.  Ce jour-là, personne n'allait laisser tomber Miguel. Si c'est pas de l'amour ça?
 
Les enfants tombent en amour comme les grands, sans l'avoir vu venir, sans comprendre comment.  Ils tombent en amour comme en pleine face, souvent, en se relevant pour recommencer.  L'amour, avec eux, c'est pas compliqué, ça va de soi, ça va par là, comme les enfants font pour grandir en avalant tout sans questionner!  Puisqu'en amour, est-ce que ça ne va pas de soi, la confiance est aveugle.
 
 
Ginette Racine
Mars 2020


Dans un autre groupe, un matin, alors que le soleil entrait à profusion dans le local, je jasais avec les élèves, leur demandais comment ça allait, et je promenais mes yeux sur eux, d'un côté comme de l'autre quand j'attrapai le regard qu'un petit garçon promenait, lui,  sur le chevelure rousse et infiniment longue de sa voisine de place. Il était totalement hypnotisé, gorgé de beauté et de stupéfaction.  La fillette qui lui tournait le dos n'en soupçonnait rien.  Je lançai à la volée:  - Ciel!  QU'il y a de l'amour dans ces yeux là, en fixant le garçon.  Tous les enfants se sont retournés, figeant de honte le petit, faisant jusqu'à se retourner l'incroyable tignasse de la fille d'à côté, sa vraie voisine de maison, son amie de carré de sable du plus loin qu'il se souvienne...


  Retour à [[Livre des suppléantes_2020]]  |  [[TEXTES en cours]]
  Retour à [[Livre des suppléantes_2020]]  |  [[TEXTES en cours]]

Version du 7 mars 2020 à 20:28

LES ENFANTS ET L'AMOUR

Je fais de la suppléance depuis 2006. Je remplace les spécialistes en arts dramatiques, plastiques, musique et danse tout en poursuivant une démarche en théâtre et cirque. J'entraîne à la créativité et explore le jeu clownesque avec les enfants de la maternelle au cégep. Mon bonheur de suppléante réside dans la créativité des milliers d'enfants que je croise, chaque année, et d'entretenir avec eux un dialogue général sur des sujets féconds, surtout en Univers social, dont celui très gloussant de l'amour. Dès le préscolaire, des petits vibrent d'intensité émotive pour garçon ou fille, sans égard de genre. Il.elles me touchent profondément.

Un de mes beaux souvenirs remonte à mes débuts dans une école de Terrebonne. J'y ai connu un petit couple de première année qui sortait ensemble depuis deux ans. Depuis la maternelle, quoi. Ils s'assoyaient toujours ensemble en se tenant la main, ou lui avec une main sur son genou, elle moulée contre lui. Un vrai petit couple à sa place. Ils ne bougeaient pas, ne s'agitaient pas, avec une écoute irréprochable. Trop cute, les petiots! Deux angelots dans un tableau de Raphaël. Je n'ai jamais eu le coeur de les séparer. Et si parfois on avait le malheur de s'en plaindre, genre - Oui mais Madame, lui là, pis elle là... Chichi! je répondais pour couper court à toute protestation. Le petit couple est devenu un fait établi, accepté ainsi la classe.

Un autre matin, un autre groupe, alors que le soleil entrait à profusion dans le local, je jasais avec les élèves, demandais comment ça allait et balayais la classe des yeux quand j'attrapai le regard d'un petit garçon qu'il promenait sur la somptueuse et infiniment longue chevelure rousse de sa voisine de place. Il était totalement hypnotisé, gorgé de beauté et de stupéfaction, la lèvre pendante. La fillette, qui lui tournait le dos, n'en soupçonnait rien. Je lançai à la volée: - Ciel! Qu'il y a de l'amour dans ces yeux là, en fixant le garçon. Tous les élèves se sont retournés, figeant de honte le petit, mais faisant se retourner la jolie rousse qui lui a souri, lui a sauvé la vie, sans l'empêcher de devenir écarlate. C'est qu'il venait de comprendre qu'il était devenu l'élu de son coeur aussi. À partir de ce jour, leur couple vécut au grand jour de la classe jusqu'à la fin de l'année. Ils m'ont raconté qu'ils étaient voisins de maison depuis leur naissance, amis de carré de sable du plus loin qu'il.les se souviennent. C'était un couple sans histoire aussi, tendre et attentionné. Puis, j'ai perdu leurs traces.

Ha l'amour! Sujet toujours gloussant pour les enfants. Quand on fait des virelangues, on les essaie sur plusieurs modes, différentes émotions. Coup classique, sitôt que j'indique amoureux.ses comme émotion, la moité du groupe part à rire, se cache les yeux, débarque, proteste, se saute dessus, assez pour perdre la classe. Et pourtant, je persiste, en m'amusant de leurs réactions, en échangeant avec les élèves qui restent des regards tendres, bienveillants, joyeux, câlinants, confiants, sympathiques, taquins, si fins à en rattraper la plupart des récalcitrant.es. Avec certains groupes, certaines écoles où je retourne 2-3 fois/année, à la longue, ce jeu en vaut la chandelle. Les comportements des enfants s'ajustent rapidement et ferait une excellente introduction au cours d'éducation à la sexualité.

Une fois en hiver, à la récré du matin, je surprends une demi-douzaine de garçons à plat ventre dans la neige, à creuser frénétiquement la couche de glace et de garnotte contre le mur de l'école. Ils avaient l'air agité. Que se passe-t-il, les gars? Avez-vous perdu quelque chose? Et les six de vouloir m'expliquer en même temps... - Wo-wo-wo! Un à la fois, dis-je - C'est Miguel qui a échappé une bague. - Une vraie bague ou une bague jouet, je demande? - Une vraie bague, c'est la bague à sa mère. - Miguel? Que faisais-tu avec la bague de ta mère à l'école? - C'est à moi, elle me l'a donnée, j'ai le droit de la donner à qui je veux, se défend Miguel. - Je comprends, Miguel, mais donner une bague, c'est un message d'amour fort, comme une demande en mariage presque. Tu veux donner la bague à la personne que tu aimes? Miguel se trouble, il ne sait plus quoi dire. - L'amitié, ça compte aussi. À nouveau les six de vouloir m'expliquer que Miguel change d'école aujourd'hui et qu'il voulait laisser un souvenir.... - Re-Wo-wo-wo! Miguel? Oui, l'amitié ça compte, alors tu ne veux pas la donner à une fille, c'est ça? - Non, à un garçon, me répond-il franchement. J'ai beaucoup d'amis alors j'ai décidé de la tirer par en arrière au premier qui l'attrape. Mais là, elle est perdue. Il se met à pleurer. Tous ses amis reprirent l'excavation de plus belle. Ce jour-là, personne n'allait laisser tomber Miguel. Si c'est pas de l'amour ça?

Les enfants tombent en amour comme les grands, sans l'avoir vu venir, sans comprendre comment. Ils tombent en amour comme en pleine face, souvent, en se relevant pour recommencer. L'amour, avec eux, c'est pas compliqué, ça va de soi, ça va par là, comme les enfants font pour grandir en avalant tout sans questionner! Puisqu'en amour, est-ce que ça ne va pas de soi, la confiance est aveugle.


Ginette Racine Mars 2020


Retour à Livre des suppléantes_2020  |  TEXTES en cours