Qui donc prend un enfant par la main pour
                      lui dire viens, écoute la nature aux vagues 
                      entretiens , entends sous chaque objet sourdre
                      la parabole.  Sous l'être universel, vois l'éternel
                      symbole. (V. Hugo, Les Rayons et les ombres)

MATIN#1 - Fermé pour cause de réforme. C'était écrit en grosses lettres stylisées. La pancarte collée de travers derrière la vitre des portes de l'école forçait à pencher radicalement la tête de côté. Les enfants riaient, la directrice fulminait. Une autre mesure dont elle n'avait pas été préalablement informée. Des parents déjà s'emportaient.

À la garderie, une autre pancarte annonçait: Entrée de l'imaginaire mais les portes étaient verrouillées. Ailleurs et partout les polyvalentes, cegeps, universités, services de garde publics, institutionnels, privés opposaient autant de messages variés, peints, sculptés, holographiques et énigmatiques que de portes closes: Fermé pour toujours, rupture avec le réel, Forge de la création, Berceau de l'éducation, Partir de rien...

MATIN #2 - La société était certes en crise. Allons donc! Plus un seul endroit accessible pour parker les enfants. Le chaos était indescriptible, la révolte imminente, le gouvernement bâillonné par une horde d'éducateurs en burn-out exigeant une rel`ve de toute la société.

MATIN #3 - Paralysie générale: les entreprises, usines et commerces déserts, les habitations envahies par toute une population de moins de 20 ans qui réclamait à manger et à faire. d'adultes cherchant à les contenir. Sevrées de toutes communications, les populations coites, bébêtes, visiblement en manque de directions, ne savaient à quel sein téter. Une plainte sourde grondait, des mouvements de masse s'amorçaient. La société, en pleine déroute, cheminait aveugle et à tâtons vers les centres de décision.

MATIN #4 - Initiative d'autorité, un boulier géant fut installé au coeur d'une grabnde place, prêt à acceuillir les suggestions, pouvait-on lire, à condition qu'elles portent un numéro et un bouchon décapsuleur. Une seule contrainte: confier au hasard la destinée de l'éducation. Rassurées par la gratification concrète d'un système aussi payant qu'un casino, les populations réagissaient, prises d'une de ces frénésies où le gros lot promet de ne pas changerlwe monde, sauf que... Les boules-suggestions tournaient de plus en plus nombreuses au gré du mouvement gyrotechnique. Un tirage quotidien déciderait de l'avenir de l'éducation. Des 0-7 ans d'abord (ça pressait), des 7-17 ensuite, des 14-21 pour finir.

Les 21-28 réclamaient un tirage en réparation de leur génération sacrifiée, les 55-75 ans qui voyaient là une occasion inusitée de se désennuyer, exigeaient leur part du hasard.

MATIN #5 - La fabrilité frisait le paroxysme. Que déciderait le boulier? A quel hasard les tout-petits seraient confiés? Étrangement, les suggestions gagnantes, quoique claires, créaient un de ces noirs sur le tableau collectif (lire : vide juridique) : Gardez-les avec vous, Emmenez-les partout, Cultivez la spontanéité, Barbouille le réel, Souci du concret, L'éducatio pratique, L'enseignement du quotidien, Beauté et spontanéité...

Qu'est-ce que tout cela voulait dire? Pour plusieurs, il y avait-là manifestation divine, matière à méditation. D'autres n'y voyaient que les effetsd'une nouvelle crosse jouée aux dépends des contribuables par des autorités dépassées, plus cruelles encore qu'endettées. Mais résignée d'avance, les parents ramassèrent leurs enfants en se demandant par quel bout commencer.