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Jean-Baptiste se tient debout devant une interlocutrice qu'on ne voit pas. Débit précipité. Il a mis une cravate, son nez ne tient pas, son porte-document minuscule l'encombre. Quand l'instant est mémorable - et cela arrive souvent - il tire une caméra jouet de sa poche, ordonne la pause, verse une larme tragique, tend la main…

J'ai rendez-vous avec la ministre / mais je suis en avance. / Un café? / Dérangez-vous pas. / C'est correct. / J'peux m'assoir ici?/ Je suis assez énervé comme ça. / Pardon Madame, c'est votre place? / Non, c'est mon pied. / Joli bouton qui manque à votre veste! / Je m'attendais pas à ce qu'une ministre.. / Pardon! À ce qu'une sous-ministre… / Oui. Bon. Ah bon? / Une adjointe à la sous-ministre, c'est très bien / bon bon / me convoque personnellement / même si au fond, j'ai confiance, confiance! (cliché) que / comme société (cliché) on passera pas à côté d'un autre rendez-vous avec l'histoire (drapeau; un employé est attiré par le bruit. JB fait signe à l'Adjointe de l'Adjointe). Avez-vous vu? On nous regarde! Le succès déjà! / Enchanté monsieur le… concierge? Monsieur le ministre! / Non, non. C'est tout bon. J'attends ici./ Je m'assois ici. / J'attends pour rencontrer la sous-ministre, l'adjointe à la sous… / Une tisane, vous croyez? / Oui. Bon. Oui? / Le projet de Béatrice et Léon, c'est moi, oui. / C'est nous: Dotcom! Multinationale culturelle à votre service. / Dîtes-nous sans rire votre drame, on écrira une divine comédie pour vous. / À vot'service. N'importe quand, monsieur./ Pardon, c'est votre tasse? Pas de faute, c'est mon pied. (Une autre personne se pointe). / Béatrice et Léon? Vont trrrrrrrès bien, merci. / Ça leur fait bien… hum… dans les 100 ans. / Hé oui. Ça va vite, han? / C'est votre carte d'affaires? / Pardon, c'est mon nez. / Z'avez rendez-vous aussi avec la sous? / Z'avez lu le projet? / Vous aussi. Je vous remercie. Sinon, soyez pas timide, j'en ai des copies. Il sort des brochures. (cliché; poignée de main; une autre personne s'approche; JB revient à l'Adjointe de L'Adjointe, lui refile les pamphlets, lui fait signe d'aller distribuer. JB profite que ce public improvisé n'a pas l'air d'avoir grand chose à faire, pour les amener à prendre siège dans la réception. Et tandis qu'il les bichonne, les photographie, il sort une bûche, une toque de fourrure et un chevreuil en plastique de ses poches, caricaturant les inflexions et l'accent bleu d'un conteur traditionnel, il commence:

J'ai-tu besoin de vous servir du "il était une fois", pour vous dire que dans une région qu'on embrasse pas juste d'un oeil, Béatrice et Léon, couple centenaire légendaire, coule des jours pas ordinaires. Exact! Ici, maintenant! Ils habitent en ville dans une espèce de grand studio-chambre-atelier - moitié temple grec, moitié salon de thé - où ils ont vécu le plus clair de leur siècle.

Il sort des branches de sapin et commence à gosser. Enlève toutes les épines d'une branche, teste la souplesse de la tige, en épluche une autre. Il sollicite - parfois pour rien - l'assistance de son public. Tout au long du récit, il fabriquera ce qui deviendra une coque.

Béatrice et Léon, personnages de haute réputation, distingués comme il s'en fait pu, élégants comme une calèche du Vieux-Montréal, et hilares, ça, m'sieur-dame, rire de même, c'est une vraie bénédiction. De voir ces deux vénérables personnes se tenir les côtes à toué petits mots d'esprit de l'autre moitié d'eux-mêmes. Et plus qu'une fois par jour. Pouvez en dire autant? Ils vivent encore de leur métier : sont t'acteurs. Pis y'a pas un jour qu'on les voit pas à télé. Vous les voyez encore han? Haaaaaa!

L'actâge. La belle idée. Ils ont interprété les plus grands, les plus beaux rôles d'amoureux depuis l'antiquité: amants séparés par un destin cruel, cœurs éternellement enlacés dans les baisers de la fin, parents éprouvés, chiens fidèles, ils ont incarné tout, chaque fois, avec force et intensité. Mais ça vous le savez déjà. Arrêtez-moé dans c'temps-là.

Toujours que, on les appelle, encore aujourd'hui ‘les enfants de la balle’. Il s'en trouve pour colporter que Béatrice et Léon auraient été conçus dans le trou du souffleur, seraient nés en coulisses, auraient grandi entre les tréteaux, se seraient épousés sur scène comme dans la vie. Jusqu'ici pas de faute. La rumeur c'est comme la neige sur le tapis. Ça reste pas. Mais y'en a toujours de la fraîche. Ils ont refusé de jouer séparés pendant toute leur carrière. Et c'est inscrit noir sur blanc, astheure, dans les bibliothèques : chaque rôle d'amoureux qu'ils ont interprété est devenu un emblème (drapeau), une nouvelle manière de s'enligner le tuyau des yeux.

Encore aujourd'hui, qu'est-ce qu'on raconte d'eux? On répète que la mort les a oubliés. Qu'ils sont forts, vigoureux, en pleine possession de leurs moyens. Leurs noms inscrits sur la marquise, pour un théâtre, c'est un talisman de bonheur. Ils incarnent, dans la vieillesse, la grâce et la beauté. Ben tout ça, mes bons amis, c'est la plus stricte vérité. C'est pas là-dessus que j'entends vous déboussoler.

La légende du tilleul fidèle, c'est leur création. Cent ans, mes vieux, et ils font encore des projets. Ils veulent jouer en forêt le mythe de Philémon et Baucis, vous savez? Les deux vieillards à qui les dieux grecs, déguisés en itinérants, accordent l'éternité en récompense de leur hospitalité./ Vous avez lu le projet, c'est vrai. / C'est clair que Léon et Béatrice se prennent pour le vieux couple de la légende. / Ils s'aiment autant. Y'a des jours où ils sont tellement dedans, je me demande si dans leur tête, ils ont pas juste fermé une porte sur le monde de maintenant. / Ils se voient comme des dieux./ C'est pas les derniers à qui ça arrive! / L'été prochain, ça vient vite... Ça vient vite./ Moi, je suis certain qu'ils vont se rendre. /(pause pendant laquelle JB prête l'oreille à un commentaire de l'Adjointe de l'adjointe) Si le public va suivre jusque dans le bois ? C'est là qui est toute la beauté de l'affaire!

La coque terminée, JB en sort une deuxième, quasi identique, de sa poche; il fait la démonstration de son prototype d'urne funéraire que Béatrice et Léon utiliseront pour jouer la mort du mythe; il sort aussi de ses poches des statuettes d'argile, agenouillées, mains tendues. Il les place devant lui, les coques tressées face à face, les statuettes à l'intérieur. (à l'Adjointe de la sous-ministre? qui décroche le téléphone avec lenteur, fige) - Vraiment Madame, le plaisir a été pour moi…

Adresse au public (aller-retour de Jean-Baptiste fiction/public - ellipse dans le temps - la rencontre est déjà terminée/ JB a reçu son congé, il fait au public le récit exagéré de l'accueil de l'Adjointe, où il imite sa démarche, rapporte avec force gestes son entrée dans le bureau; son inconfort; ses efforts pour rester éveillé; pour comprendre la langue de bois; où il expose le grandiose des honneurs qu'on lui a faits. Comment, après une enflure protocolaire, elle lui a intimé le silence. Où il livre les fragments recueillis de la conversation captée par motons, comme un vague bulletin de radio: ... félicitations…. Projet jeunesse stimulant… création d'emplois….. premières expériences de travail… ouverture d'esprit… dynamisme… performance… excellence… dispositions naturelles… travail en équipe… art des désœuvrés culturels… qui fait boum… renouveau esthétique… art social en émergence… proche des réalités économiques… sensibilité.. condition communautaire… … fondateurs du futur … prêt à s'investir … co-production... compagnie attikamek... promotion de l'art autochtone... projet phare... tournée pan-lanaudoise... été 2006… conférence de presse ... fierté ministérielle... projet pilote … demande initiale... 200 000$ (amplification).. malencontreusement amputé des deux tiers... les seuls artistes rémunérables ... de préférence, moins de 35 ans... effort ministériel…. souci de concertation… (effet de distorsion)... Que les rôles de Philémon et Baucis, dans la Légende du tilleul fidèle, soient interprétés par des finissants des écoles de théâtre...

Où Jean-Baptiste met l'Adjointe de la Sous-ministre sur "pause" pour retrouver l'Adjointe de l'Adjointe à l'écoute active et reprendre, d'abord avec exaspération, en accéléré, désespéré son "picth" de vente). - Si on se résume, la coque funéraire - pourtant commanditée par Dotcom, multinationale culturelle - 100% biodégradable, qui se transforme en berceau dès que le corps s'affaisse; préviendra l'éparpillement des restes humains; retardera l'assaut des charognards; respectera en tout point les normes d'enregistrement provinciales sur la sépulture. Objet d'art décoratif fabriqué à partir de matériaux naturels, disponible en format unique, il conviendra à toutes les corpulences. Commercialisée à grande échelle … (Pause aussi L'Adjointe de l'Adjointe, au public)

Sans les vieux? A'-tu lu le projet?

Où Jean-Baptiste transmet à l'Adjointe de l'Adjointe un message à l'intention de l'Adjointe de la Sous-ministre en lui démontrant l'endroit de son organisme où il pense distribuer la subvention. Exit

Variante

Suite à la rencontre du 16 décembre 2011, il a été proposé une variante de cette scène. Au lieu de la faire jouer par Jean-Batiste, qui serait plutôt l'un des jeunes acrobates de la troupe In Situ, cette scène serait jouée simultanément par Jules et Élizabeth, Jules se montrant maladroit pour défendre un spectacle face à des exigences admnistratives de demande de subventions dont il ne comprend pas tellement le système (c'est un artiste, pas un administrieux), Élizabeth multipliant les envolées et les arguments pour montrer sa très grande adresse de directrice de troupe habituée à ce genre de discutions avec les subventionneux. Il faudrait alors concentrer l'entretien sur les aspects techniques et administratives, montrant qu'il n'est nullement de questions artistiques dans le choix des subventions.

Comme sursaut final, la scène pourrait s'achever sur une question de conclusion :

- Par simple curiosité, dites-nous. Votre projet de création... Cette pièce dont vous nous parler... Qu'est-ce qu'elle voudra dire? Qu'elle en sera la teneur et le souffle artistique?

On voit Élizabeth rester bête et muette, alors qu'on voit Jules faire de grands gestes, tout d'un coup vif et habile, se lever et commencer :

- Ah! Là, vous posez de vraies questions. Ouvrez vos oreilles et les yeux de votre imagination, et laissez-moi vous raconter notre beau et grand rêve!

Black alors qu'il s'apprête à débuter.


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